Pour un sain déséquilibre

La lutte contre la criminalité financière ne semble toujours pas constituer une priorité. Mais si exécutif, judiciaire et législatif s’affrontent à son chevet, c’est tout bon pour la démocratie.

Bron: La Libre Belgique 

Au mois de février dernier, la Commission des Finances de la Chambre recevait les représen­tants du Collège des procureurs gé­ néraux, les invitant à s’exprimer sur le fonctionnement, et osons le dire, les dysfonctionnements en matière de lutte contre la criminalité finan­ cière. Le constat dressé par les hauts magistrats fut accablant.

“Les résultats sont très médiocres”, a déclaré Lucien Nouwynck, procureur général de Bruxelles. Et d’épingler le manque flagrant d’effectifs et la vo­ lonté apparente de ne pas considérer ce combat comme prioritaire. Mon­ sieur De Valkeneer, procureur géné­ ral de Liège, a surenchéri en décri­ vant le manque endémique de moyens, notamment en matière in­ formatique. Quant aubilan des catastrophes, en terme de chiffres, il y a de quoi frémir : 550 dossiers de fraude périssant de vieillesse, la maladie mortelle de la Justice appelée “prescription”.

La réaction du politi­que ainsi pris à par­tie ne s’est pas fait at­tendre : le député Luk Van Biesen, du parti de la ministre de la Jus­tice, enjoint les procureurs généraux “à balayer devant leur porte”. Et d’ajouter : “Le monde politique s’est décarcassé après la crise économique, la ministre a fait des réformes, établi un cadre, les magistrats sont­ils disposés à faire la même chose, à gérer leur boîte ?”

Incroyable affrontement entre l’exécutif et le judiciaire, alors que dans notre société en régression éco­ nomique, dont les effets sociaux commencent à se faire sentir sérieu­ sement, l’éradication des causes, dont l’accroissement des activités des entreprises illicites et le blanchi­ ment de l’argent sale issu de la fraude fiscale et sociale, n’apparaît toujours pas comme une priorité absolue. Sauf à se contenter du spectacle de l’indi­ gnation de certains élus qui décou­ vrent l’ampleur du phénomène, di­ sent­ils, après les effets de l’Offshore Leaks.

Et ce duel à fleurets mouchetés de se dérouler sous le regard du pouvoir législatif, lui­même en panne de ré­ formes les plus élémentaires, telles que la révision de la loi Franchimont, utilisée par les plaideurs comme une contre­stratégie plutôt que comme l’exercice normal des droits de la dé­ fense. Et pourtant…

Et pourtant, malgré ces constats malheureux, un point positif surgit, et c’est l’exercice de la démocratie el­ le­même. Née du siècle des Lumières, notre organisation politique repose sur la coexistence des trois pouvoirs. Le bouleversement de l’équilibre en­ tre ceux­ci, l’empiétement de l’un sur l’autre peut être l’origine d’un re­ cul des valeurs prônées par ce sys­thème.  Or, un exercice normal du pouvoir peut être la source même d’un désé­ quilibre. Comme la gestion exclusive des budgets de l’Etat par l’Exécutif qui dé­ cide ainsi des actions prioritaires, au détri­ ment de ce que souhai­terait par exemple le pouvoir judiciaire.

Alors, entendre en Commission de la Chambre les procu­ reurs généraux, en présence de la presse indépendante qui re­ laye les propos tenus par ces magistrats, même s’ils déplaisent, rétablit en quelque sorte ce déséquilibre, ce qui est sain pour notre système. “C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser […] Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir ar­ rête le pouvoir”, écrivait Montes­ quieu.

Dans le garage d’un habitant de Sart­Station, une statue de la Vierge a fait le buzz, apparaissant soudain comme lumineuse. Un miracle pour les fans, un phénomène classique de phosphorescence pour les scientifi­ ques, un peu goguenards. Mais on en parle.

Alors, plagiant un dialogue de Mi­ chel Audiard qui parlait de la justice dans un de ses films, j’ai envie de dire : “La démocratie, c’est comme la Sainte Vierge, à défaut d’apparaître quelques fois, on finit par douter.”