Vive la concurrence fiscale… «loyale»! (Histoire belge)

L’harmonisation fiscale s’est imposée à l’agenda européen dans la foulée du «Luxleaks».

Initialement peu enthousiaste, la majorité au parlement européen a accepté la mise en place d’une commission spéciale chargée d’investiguer les pratiques peu orthodoxes de nombreux Etats-membres.

Mardi, les membres de cette commission étaient à la Chambre, en commission des Finances.

Bron: Le Soir

Sans détour, les députés de la majorité ont recadré leurs homologues européens: l’harmonisation fiscale, on n’est pas pour.

Eric Van Rompuy (CD&V): «La Commission européenne enquête sur les excess profit ruling; et dans l’intervalle, aucun ruling de ce type n’est accordé. Mais nous défendons ce système» .

Un système, rappelons-le, qui permet de détaxer le «profit excédentaire» que la filiale belge d’un groupe multinational réalise grâce à son appartenance à ce groupe, mais quelle n’engrangerait pas si elle était indépendante.

Et comme on n’informe pas les fiscs étrangers, on se doute bien que ces bénéfices ne sont taxés nulle part.

Toujours Van Rompuy: «C’est essentiel pour pouvoir convaincre des groupes internationaux d’investir en Belgique.»

Et l’ACCIS, l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés?

Veerle Wouters (N-VA): «On ne peut pas être opposé à une certaine harmonisation de la base taxable… mais la fixation des taux d’imposition doit être laissée à l’autonomie des Etats-membres.»

Luk Van Biesen (Open VLD): «Une base imposable commune, d’accord, mais pas si cela met en danger les intérêts notionnels.»

Donc l’harmonisation fiscale, un peu (peut-être), mais pas trop.

D’autant, explique Van Biesen à ses homologues européens, qu’on a choisi la voie inverse en Belgique: «On a organisé la concurrence fiscale dans le cadre de la sixième réforme de l’État.»

Donc: nos niches fiscales, on y tient – la déduction des intérêts notionnels, le régime fiscal des holdings, la déduction des revenus générés par les brevets, l’exonération des retenues à la source sur les dividendes et, bien sûr, les «excess profit rulings».

Dixit Luk Van Biesen, décidément à la pointe du combat: «Nous sommes fiers de nos instruments fiscaux, qui permettent d’attirer des entreprises et des emplois.»

Combien d’emplois créés? D’usines installées? De valeur ajoutée générée?

Ça, on n’en sait rien. Aucune étude n’a jamais été réalisée pour évaluer le coût budgétaire et l’impact économique de ces «instruments fiscaux», comme le rappelle Georges Gilkinet (Ecolo).

Marco Van Hees (PTB) fait un petit décompte: les six plus gros bénéficiaires des intérêts notionnels emploient à peine plus d’une centaine de personnes.

Ces deux-là n’en pensent aucun bien, de la concurrence fiscale. Ils le disent et le répètent; et cela agace visiblement le président de la commission des Finances, Eric Van Rompuy.

Donc, on est pour la concurrence fiscale. À la loyale, évidemment, jurent nos députés. Croix de bois, croix de fer…

On dirait qu’ils ont loupé l’épisode d’ «Only in Belgium» , ce Powerpoint réalisé par les Finances à destination des candidats investisseurs étrangers qu’ont révélé Le Soir et De Standaard .

Une quarantaine de slides pour présenter une boîte à outils qui permet, par exemple, de «rapatrier du cash» (sic) généré dans divers pays européens vers la maison mère, via une holding belge, avec «des pertes fiscales minimales» (re-sic).

Vous avez dit: loyal?

N’est-ce pas, au contraire, priver les fiscs de nos partenaires de recettes qui devraient leur revenir?

C’est dire qu’on franchit aisément la ligne blanche qui séparerait la «bonne» concurrence fiscale de la «mauvaise».

À supposer que la distinction soit pertinente…

Inévitablement, la concurrence fiscale se traduit par une baisse tendancielle de la fiscalité sur les contribuables les plus mobiles.

Et, comme ce que ne paient pas les uns doit forcément être payé par les autres, des impôts plus lourds sur les contribuables «collés» au territoire: les salariés, les indépendants, les PME…

Reste qu’il faut être attractif… Certes.

Mais que l’on nous prouve que la course au moins-disant fiscal est effectivement la bonne manière d’ancrer durablement des activités économiques sur nos territoires.

Ce dont on doit douter, s’agissant d’une course qu’on ne peut jamais gagner…

DOMINIQUE BERNS ■